20 février 2012

Portrait d'un libraire particulier

Il y a
Il y a quelques années, lors d’une balade dans le quartier j’ai découvert une nouvelle bouquinerie. Un homme dans la soixantaine occupait le local. Nous avons fait connaissance. L’homme n’était pas un grand lecteur, mais il aimait les livres, il aimait ceux qui lisaient. Il m’a montré des livres anciens et m’a questionné quant aux habitudes des lecteurs locaux. Je lui ai dit que je ne croyais pas les gens d’ici particulièrement amoureux des livres. Il se redressa et dit : « mais voyons, tout le monde aime les livres ». Je repense souvent à sa réaction. Je me dis qu’on peut aimer les livres sans les lire.
Le petit commerce était un vrai capharnaüm! Impossible de s’y retrouver, rien n’était classé, il y avait des bouquins partout. Un manuel technique pouvait jouxter un essai et un dico. Les prix étaient agressifs: le prix payé par le bouquiniste + 2$. Ainsi, trois livres identiques pouvaient se vendre : 2$, 6$ et 10$, selon le montant payé par le proprio! Un carton dans la vitrine indiquait les heures d’ouverture. C’était fermé les soirs et weekends. Un commerce ne peut survivre ainsi! Je ne comprenais pas. Un jour il me dit : « Ce commerce est à mon fils, quand il reviendra il s'en occupera. » Où est-il votre fils? Dans l’Ouest du pays.
Parlons du fils, Frédéric. Il détestait l’école, au primaire des professeurs le traitaient de pâte molle. Influencé par ses amis, il abandonne l’école à 15 ans. Il ira travailler en usine pendant quelques années. Il se lassera aussi de l’usine et après une période dépressive, il tentera un retour aux études. Mais voilà, il est reclassé en alphabétisation. C'est un choc pour lui.
Après 18 mois de cours intensifs de soir, en plus de 50 hrs / sem. travaillées à l’usine, il complète son secondaire. De plus, il suivait des petites formations sur l’estime de soi, la gestion du stress, la confiance en soi. Par la suite, il s'inscrira à des cours d'orientation au Carrefour Jeunesse. « À quatre ans je vendais des roches, plus tard j’achetais de la gomme à mâcher pour la revendre à mes camarades du primaire. Un choix de carrière est apparu : je voulais gérer un commerce. »
Il entreprit donc une Attestation d’Études Collégiales (AEC) en gestion de commerce et obtint la deuxième meilleure note, toutes disciplines confondues. Ne parlant pas l’anglais, il s’installe alors à Calgary et déniche un emploi dans un dépanneur le jour alors qu’il suit des cours d’anglais le soir.
À 28 ans, il est victime d'un AVC. Il se fait opérer au cœur et revient au Québec. Il lira beaucoup pendant sa convalescence et décidera de sa mission : donner le gout de la lecture aux jeunes, les encourager à s’instruire, à persévérer, tout en faisant du commerce.
Depuis plus de deux ans, Il administre la bouquinerie de Beloeil (Les Trésors du Futur). On parle de lui dans les journaux locaux, il organise de grandes ventes de livres et grâce à ces ventes, il remettra des bourses de 20$ aux enfants du primaire qui rédigeront de courts textes, d’autres bourses de 100$ seront octroyées à ceux qui fréquentent le secondaire et le CEGEP et qui daigneront composer un texte substantiel et des bourses de $200 seront remises aux titulaires des meilleurs textes.
Quand je vais à cette bouquinerie, c’est à lui que je parle maintenant. Tout a changé. Le local est plus clair, les étagères sont nombreuses, les livres classés, c’est invitant. Frédéric Fortin acquiert de l’assurance et sait parler aux gens. Il a toujours des projets en cours. Aux premiers mots, c’est sa simplicité que l’on remarque et ensuite on devine la volonté de cet homme, sa profondeur et sa sincérité. Sa ténacité le mènera loin.
Après avoir échangé avec lui la semaine dernière, je me suis dit que ça serait bien d’en faire un billet, le premier sur ce blogue. Frédéric Fortin, membre des Jeunes Entrepreneurs de la Montérégie a écrit les Dix Secrets pour Réussir un Projet d’Études. Ça commence ainsi :
Si vous voulez que vos rêves se réalisent, la première chose à faire est de vous réveiller.
Je souhaitais écrire de courts billets. C’est drôlement raté!
Il me reste une chose à éclaircir. Les médias locaux, La Presse et Radio-Canada ont fait des reportages sur Frédéric, mais je n'ai rien lu ou entendu au sujet de son père, de cet homme que j’ai vu lorsque la bouquinerie s’est installée dans mon patelin. Cet homme effacé, ne me semblait pas très instruit, mais de toute évidence, il connaissait l’importance de l’instruction, l’importance des livres, il souhaitait le meilleur pour son fils, comme pour compenser ce qu'il n'aurait pas pu lui donner. Partout, il est écrit que Frédéric Fortin a acheté cette librairie. Qui était cet homme qui occupait l’espace avant que Frédéric n’arrive? J’aimerais reconstituer ce lien. Frédéric est-il le fils de l'homme à qui j'ai parlé? Ça me semblait évident, j'ignore pourquoi mais aujourd'hui j'en suis moins certain. Je reviendrai là-dessus.
Grand-Langue
Liens intéressants:

23 commentaires:

  1. Quelle belle personne vous nous faites découvrir. Frédéric Fortin est inspirant et pas seulement à cause de sa bouquinerie!

    Il incarne tout ce que j'admire, à commencer par un parcours qui n'est pas celui de tout le monde, on pourrait même penser qu'il s'est fait tout seul mais quand on y regarde de plus près (grâce à vous) on comprend qu'il a eu au minimum un papa qui a toujours cru en lui. Et beaucoup de résilience, ce courage de rebondir...

    Frédéric a la grandeur d'âme de vouloir redonner à la société, partager son expérience de vie avec les autres. Il devrait être entendu par un plus large public. À ceux qui déplorent que les jeunes manquent de modèle, Frédéric en est tout un. On ne valorise pas assez ceux qui ont la force de sortir des sentiers battus.

    Je vous suis très reconnaissante de nous avoir fait connaître ce jeune homme, j'ai beaucoup aimé le lire lui aussi dans ce lien au bout duquel je me suis rendue avec grand intérêt.

    J'aspire maintenant à mieux connaître son père! N'est-ce pas ce que vous nous laissez sous-entendre?

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  2. "Je me fous du monde entier quand Frédéric..."

    Quel bel hommage à cet homme dont je ne connaissais l'existence! Merci de me l'avoir fait un peu rencontrer et un peu connaître, je trouve que ça valait un billet, un premier en plus!

    Croyez-vous qu'il ferait des conférences aux jeunes dans les écoles? Ce pourrait être un témoignage d'une grande sensibilité...

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  3. Michèle,

    Des conférences, c'est ce qu'il fait régulièrement, il est dédié à cette cause. Si vous suivez les liens affichés au bas du billet, l'un deux vous le présente en tant que conférencier, il indique ses disponibilités, etc.


    Zoreilles,

    J'irai le voir bientôt et lui poserai des questions au sujet de son père, ou de cet homme qui a ouvert la bouquinerie. À l'adolescence, alors que rien n'allait, Frédéric a aussi succombé aux drogues. J'imagine l'espoir d'un père qui voit poindre la lumière.

    Cet homme qui a ouvert la bouquinerie vendait aussi des livres dans les marchés aux puces, voilà pourquoi il ne pouvait ouvrir la bouquinerie les soirs et la fin de semaine.

    Grand-Langue

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  4. Génial cette histoire. J'adore!

    Pierre F.

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  5. Oui, il a succombé aux drogues, aux mauvais amis, à tout ça, il a flirté avec le désespoir, la dépression, c'est ce que j'avais lu dans sa petite bio, là où j'ai vu aussi quelles étaient ses disponibilités, le territoire où il était disposé à aller livrer son message, c'est pourquoi je parlais de sa résilience (capacité à rebondir) et de son public qui devrait être plus large, (qu'on immortalise son témoignage en en faisant le sujet d'un documentaire?...) du formidable modèle qu'il incarne pour tous les jeunes qui sont marginaux ou marginalisés par la pression qu'on exerce sur eux, pour ceux qui se cherchent, qui tombent au combat (de la vie) et ne savent plus comment se relever.

    Et si je poussais plus loin le fond de ma pensée, je vous dirais que s'il était demeuré une victime, on en aurait peut-être déjà fait une icône, un sacrifié sur l'autel de la victimisation mais Frédéric Fortin et son parcours singulier, c'est un success story et ça, c'est rare que ça fait les manchettes.

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  6. Zoreilles,

    Il ne se considère ni victime ni héros. Il répète que le succès vient de l'acharnement, qu'il ne faut pas abandonner ou pire, se fier au reste du Monde pour s'en tirer. C'est une histoire simple et il y en a beaucoup autour de nous. C'est vrai que l'on s'attarde beaucoup sur ceux qui "abandonnent". Le très bref reportage de Radio-Canada le montre sous son vrai jour.

    C'est drôle, quand vous échangez avec lui, il cherche toujours ce qu'il pourrait mettre à profit dans vos mots, dans vos idées. Il a vraiment l'âme d'un commerçant! Ce n'est pas l'argent qui l'anime mais plutôt les bons échanges. Il veut constamment faire progresser la relation, au profit de tous.

    Grand-Langue

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  7. Grand-Langue, merci de vous être un jour décidé à venir laisser un mot sur mon blog car sinon, je serais assurément passée à côté du vôtre et c'eut été fort dommage.
    Votre billet d'introduction m'avait fortement "ouvert l'appétit", ce billet-ci qui présente deux hommes aux parcours intrigants et dont l'un prône la responsabilité et la responsabilisation ne pouvait que me séduire.
    Surtout, ne faites pas court !

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  8. Grand-Langue,

    Je te découvre grâce à ta visite impromptue chez moi! Ton entrée en matière est originale et ton premier billet, une réussite! J'aime beaucoup ton style et la fluidité de tes propos! Ton sujet est tout simplement touchant. Merci d'ouvrir mes horizons sur un homme aussi déterminé et qu'inspirant, Frédéric Fortin!

    Au plaisir de te relire...
    Carina

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  9. La suite…

    Je suis retourné à la bouquinerie. J’ai fait un brin de jasette avec Frédéric. C’est bien son père qui avait ouvert cette bouquinerie.

    C’est de lui qu’il a acheté son commerce. Il m’a dit ce que je savais : que son père administrait mal son commerce, il était toujours fermé et comme il ne savait pas lire, il ne pouvait classer les livres! C’est quand même extraordinaire, j’avais deviné que le paternel ne savait pas lire. J’avais l’impression qu’il avait un problème de dyslexie ou quelque chose du genre mais, comme bien des analphabètes, il feignait probablement la chose. Cela expliquant ceci, j’ai compris pourquoi il ne pouvait repérer les auteurs québécois ou se servir d’Internet.

    Il y a encore un hic. J’ai répété à Frédéric que son père avait acheté ce commerce pour lui, alors qu’il était dans l’Ouest. Il a eu l’air étonné! Il ne voulait pas trop parler de son père, répétant qu’il avait simplement acheté ce commerce de son père, sinon la faillite aurait été inévitable. J’ai décelé une esquive.

    Le père ne voulait pas garder ce commerce, il voulait offrir une occasion d’affaire à son fils, ça ne peut être que ça! Le reste ne me concerne pas mais il y a dans cette histoire quelque chose de profondément humain, un cheminement non orthodoxe qui cache quelque chose de sensible.

    Grand-Langue

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  10. Voilà une bien belle histoire!

    Je me promets d'aller un jour visiter l'endroit. Je suis heureux d'avoir pu partager le secret collectif de ta métamorphose. J'ai lu aussi le billet précédent. J'ai bien aimé l'état d'esprit qui t'anime comme grande langue. Dans un monde où tout doit être polically correct, ça fait du bien de voir cette recherche d'authenticité.

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  11. Jacks,

    Cette histoire du libraire m'a mené là où je ne croyais pas aller. Je sais certaines choses que le libraire lui-même ignore. cela m'a touché. Je ne veux pas aller plus loin... pour l'instant. Non mais, imaginez le père qui ne sait pas lire du tout et ouvre une bouquinerie (!!!) pour qu'un jour son fils s'en ocuupe, sans en dire mot à ce dernier!

    C'est un endroit tout simple, modeste, un bouquinerie qui ressemble à d'autres, si ce n'était du parcours du bouquiniste l'individu.

    Grand-Langue

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  12. Et où se trouve cette librairie, que j'aille y faire un tour?

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  13. Ton histoire est très attachante.J'aime ce terme de "bouquinerie" qui rameute tous les amoureux des livres. J'ai mis sur mon blog un modeste message en décembre 2011 sur un ouvrage où j'avais lu, comme jamais encore, la passion des livres.Avec des descriptions savoureuses de librairies anciennes.Le héros vit son rêve à travers le roman: "La sombra del viento" (l'ombre du vent)de Carlos Ruiz Zafon, peut être le connais-tu?

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  14. Très beau billet, humain, plein d'attentions, de respect et de tendresse.
    Je reviendrai, c'est une promesse.
    Merci d'être passé, et d'avoir laissé ta trace, moi, je tutois tout le monde, même le pape; "Hey Ben j'ai soif, passe moi lé ton câlice".
    Aucune idée sous quel pseudo tu t'exécutais auparavant, et ça a importance zéro pour moi, mais me semble qu'à la lumière des commentaires que j'ai lu, ton rebaptême, ton déguisement,,,,OUCH,,,,sublime échec, bravo.
    Yuan

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  15. Yuan,

    Qu'on tutoie le pape c'est pas si extraordinaire mais qu'on me tutoie, moi! Ça c'est un peu fort. Mais, dans ma grande bonté, j'accepte cela avec humilité!

    Grand-Langue

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  16. Une ouverture qui fait lien avec ton futur ancien blogue, l'amour des livres. Je te sens plus près de ta région, avec l'envie de partager ses secrets. Et celui-là, c'est un secret d'amour parental. On ne sait pas ce qui se cache dessous, mais c'en est un. Peut-être deux personnes ont-elles voulu racheter le passé? En tout cas, ce jeune homme a l'air épanoui, ouvert, très allumé. Les chemins obscurs peuvent ainsi mener, avec le travail, la détermination, l'acharnement, le courage à des rêves qui permettent de se dépasser et de rayonner sur la communauté.

    Les liens sont aussi très intéressants. À suivre...

    Air fou

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  17. Air Fou,

    "Un secret d'amour parental" (surtout de la part du père)

    C'est exactement ça. J'ai débuté ce billet en parlant d'un jeune et de sa volonté de s'en sortir. Maintenant, je comprends que c'est l'histoire d'un père qui a voulu, en secret, offrir une occasion d'affaire à son fils qu'il voyait évoluer. Le plus extraordinaire dans cette affaire c'est que nous tous ici, avons une meilleure perspective que le jeune libraire lui-même.

    Grand-Langue

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  18. Une belle histoire et une histoire vraie en plus!

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  19. Par votre faute, ma vue est toute embrouillée maintenant!
    C'est une très tendre et très belle histoire, un parcours impressionnant tellement bien raconté.
    J'aime votre plume. Je reviendrai me balader ici, c'est certain.

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  20. Quand même un choc...

    (Soupir)

    Du neuf.

    (Sourire)

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  21. J'adore les jolies histoires comme ça !
    D'ailleurs j'aime toutes les histoires.
    Merci d'avoir raconté celle là.
    Et de m'avoir rendu visite aussi !

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  22. Cette histoire est effectivement fascinante, Grande-Langue. Elle est très spéciale, riche, hors de l'ordinaire.

    J'y ai repensé à plusieurs reprises. J'en ai parlé à des amis. J'ai une soeur et des amis qui habitent dans le coin. C'est sûr que je vais aller visiter l'endroit.

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