Dernièrement, j’ai assisté à un très beau spectacle. C’était Kind of Blue, cette œuvre de Miles Davis. Une œuvre phare dit-on. Cette suite est un état d’esprit, une atmosphère. On nous a demandé de ne pas applaudir après les solos ou entre les pièces, il fallait seulement écouter, se laisser aller.
Pas facile au Québec de ne pas applaudir. On veut tellement se faire aimer des artistes, on veut tellement être le meilleur public au Monde qu’on s’épuise en offrant des ovations debout, même quand la prestation est moyenne, on se lève et on se pète les veines des mains, on lance des hourras! On sent toujours l’irrésistible besoin de faire du bruit à la fin d’un solo alors qu’il faut justement écouter la passation du flambeau, la jonction entre le soliste et l’orchestre qui se font à la fin du phrasé. Tout le monde le sait, ici on félicite même le pilote qui pose son avion sans incident.
Ce soir-là, les musiciens ont dit : taisez-vous, laissez-nous vous mener quelque part. J’ai apprécié leur requête sauf que ce sont eux qui ont parlé. On nous a expliqué l’origine de l’œuvre, la date de sa création, la date de la première prestation et qu’après cet évènement, le jazz tel qu’on le connait venait de naitre. Ils ont dit plusieurs autres choses que je n’ai pas écoutées.
Je me suis dit « eux aussi auraient mieux fait de se taire ». La même chose se produit en peinture, en littérature, dans les sports, en science. Nous ressentons ce besoin de planter des repères un peu partout. Ça rassure. Nous aimons croire que c’est une découverte précise qui a tout changé, que c’est une composition particulière qui a ouvert le chemin… etc. Nous avons beaucoup de difficulté à apprécier les œuvres pour ce qu’elles sont, tout simplement. Il ne faut pas toujours intellectualiser.
Même si l’histoire m’intéresse, je ne souhaite pas toujours entendre ces énoncés. Je crois que tout fini par se produire, peu importe grâce à qui, où et quand. Si on ne croit pas à cela, il faudrait alors se demander qu’est-ce qui aurait dû être créé et qui ne l’a pas été, à cause de qui, à cause de quoi. C’est à devenir fou.
Il y a des choses qui ont avantage à être appréciées par nos sens sans autres formes d’analyses, sans réflexions savantes, sans avoir à lire ce que les spécialistes affirment. Finalement, ce fut un concert mémorable. Malheureusement, il y eut des gens pour applaudir un peu n’importe quand, il ya eu des hourras. Les musiciens, de grands jazzmans, ont ri et ils ont joué. J’avoue qu’après avoir entendu cette musique aussi calme que ravissante, interprétée de façon magique, j’aurais voulu quitter les lieux dans le silence, sortir de la salle et me retrouver face au Mont-St-Hilaire qu’on devinait dans la nuit.
Grand-Langue