9 avril 2012

Priez pour moi

« Je vais prier pour toi ». C’est ce que m’avait dit une vieille tante avant ma période d’examens. J’étais resté coi. J’ai demandé à mon frère si j’avais bien compris. Pourquoi voulait-elle prier pour moi? Dans sa grande sagesse, mon frère avait répondu «  niaiseux, ça prendrait un miracle pour que tu réussisses ». Mis à part mon idiot de frère, personne ne jugeait utile de me dire pourquoi ma tante voulait prier pour moi. Plus tard, dans la voiture, mon père m’avait dit, laisse ta tante tranquille, ça lui fait du bien de prier pour les autres. Mon père avait un sens pratique des choses. Ma mère ne partageait pas ses propos, elle soupirait quand mon père parlait ainsi.

Ma mère fréquentait les églises, pas mon père. C’est-à-dire que mon père aimait les églises, pour d’autres raisons, pour le calme ambiant, pour l’architecture, pour y faire un somme l’après-midi quand il était sur la route, entre deux clients. Il aimait les églises pour ça. Ma mère elle, c’était compliqué. Pour comprendre sa démarche, il fallait lire la bible, écouter ce que disaient les prêtres. Après toutes ces démarches, on pouvait espérer être sauvé. Sauvé de quoi? Je ne l’ai jamais su. Je préférais la philosophie de mon père : mène une bonne vie et tout ira bien. C’était simple avec lui, n’empêche que tout allait déjà bien et quand je le lui disais il répondait : « tant mieux, c’est toi qui le sais ». Quel contraste entre mon père et ma mère. Sur ce point seulement, car quand il parlait de politique ou d’autres sujets, là, mon père discourait de façon savante. Je ne comprenais pas grand-chose, mais on aurait dit que ça se tenait, ce n’était pas comme les discours de ma mère sur la religion, y’avait moins de mystères, il ne disait jamais « faut avoir la foi pour comprendre ». Mon père, faute d’opposant, argumentait avec lui-même, il s’opposait face à lui-même, il prouvait ce qu’il avançait et tirait une conclusion. Ça se passait surtout à la table, au souper. Nous on écoutait et on se sentait un peu plus intelligents même si l'on ne comprenait pas tout. Généralement, ses discours étaient amorcés par un commentaire ou une nouvelle à la radio.

Tout au long de ma vie, il y a des gens qui tenaient à prier pour moi, surtout des femmes. C’est encore comme ça aujourd’hui. La veille d’une épreuve, au moment de se quitter, pendant une maladie, j’ai toujours eu quelqu’un qui priait pour moi. Je ne me pose plus de question, je me dis que ça doit leur faire du bien de prier comme ça. Mon père avait raison. À moins que ces gens se sentent responsables de compenser pour mon manque d’ardeur religieuse. Par exemple, il y a quelques années, la conjointe d’un ami a prié pour moi alors que j’étais alité à l’hôpital. Comme à chaque matin je m’éveillais à peu de choses près dans le même état que je m’étais endormi la veille, elle a conclu que ses prières avaient été payantes. Je lui ai dit que je devais ça à ses prières, en sortant de ma chambre elle ne touchait pas à terre! C’est peut-être ça le bienfait des prières. Même chose pour ma tante qui, en apprenant que j’avais passé avec succès mes examens, avait conclu que sa foi avait guidé mes réponses. Avoir su, je n’aurais pas étudié autant.

D’autres, ceux qui savent que je ne suis pas dans le fan-club de Jésus, diront «  on t’envoie des ondes ». Quelle fréquence dois-je syntoniser? Je voudrais répondre « ménagez vos émetteurs, il n’y a rien qui entre dans cet immeuble! » Ce n’est pas commode d’être sceptique. Soyez tranquille, mon esprit que je juge cartésien n’a pas toujours gain de cause. On m’a déjà dit « je ne suis pas croyante moi non plus, mais si un jour un de tes enfants se retrouve entre la vie et la mort, crois-moi, tu apprendras ce qu’est la prière! ». Heeuu, qu’est-ce que mon père aurait dit… probablement rien.

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