17 février 2016

Qu'est-ce qu'on conserve?

Hier, j’ai fait du ménage, j’ai jeté des choses ayant marqué un segment de ma vie, mon adolescence, ma vie d’adulte aussi un plein coffre de cassettes de musiques enregistrées. J’avais précieusement conservé ces boitiers en plastique bien identifiés. Ce coffre m’a toujours suivi, jadis c’était mon coffre à jouets.
Il contenait aussi des enregistrements légués par d’autres. Que faire de ces objets devenus inutiles? Les laisser à mes enfants? Cadeau encombrant et sans intérêt pour eux, savent-ils ce qu’est un magnétophone? Le contenu entier du coffre tiendrait sur une clé USB.
Ai-je trahi la volonté de ceux et celles qui m’ont donné ces choses? Non. La notion du temps et du souvenir est relative. On veut laisser une trace de notre passage, mais toutes les traces finissent par s’effacer, sans exception. Il ne s’agissait pas de créations originales. Las de déplacer ce coffre qui semblait plus lourd chaque année (je sais, c’est moi qui perds des forces), j’ai cavalièrement tout balancé aux ordures, pour ne pas changer d’idée.
En jetant les dernières cassettes, mon regard s’est arrêté sur deux boitiers. J’ai reconnu l’écriture de mon défunt père. J’ai récupéré ces deux cassettes et refermé le couvercle du conteneur à déchet.
J’ai inséré ces cassettes dans un lecteur et appuyé sur « play ». L’enregistrement datait de 1980. J’avais entamé un long périple en Amérique latine. Mon père qui suivait mes péripéties de chez lui avait eu l’idée d’enregistrer sur cassette des textes lus par des parents, des amis. On y racontait des anecdotes, on rapportait des nouvelles du Québec, il y avait des blagues, des commentaires politiques on avait même inclus les aboiements du chien. Ces cassettes furent expédiées à la poste restante d'où j’en prenais livraison.
Dès le début de la première cassette, c’est mon père qui parle, il est mort en 2001. En 1980 on enregistrait peu le « quotidien ». Les téléphones n'étaient pas intelligents. Cette voix m’a catapulté dans le passé, dans un autre environnement, entouré de gens qui ne sont plus de ce monde ou que j’ai perdus de vue.  Les propos enregistrés valent bien des récits écrits, car en plus du contenu vocal, l’ambiance s'est "magnétiquement imprégnée" sur le ruban, on devine qui est dans la pièce, ceux et celles qui parlent en arrière plan. L’imaginaire fait naturellement le reste : les couleurs, les vêtements, les visages, les meubles et les odeurs se mettent en place.
À l’époque, partir pour quelques mois ou quelques années était encore considéré comme quelque chose d’assez unique. Aujourd’hui, grâce aux médias, on connait tout sans voyager. Je ne parle pas des ‘tout inclus’ qui sont des déplacements, pas des voyages.
Plus loin, sur la seconde cassette, j’entends les sons de mon fils alors qu’il n’a que quelques semaines. Je m’entends jouer avec lui. Je ne me souvenais pas avoir enregistré cela. Je me demande combien de trésors j’ai pu jeter aux ordures. Je ne regrette rien, si je n'avais pas jeté ces objets, je n'aurais peut-être jamais repéré ces deux cassettes!
Grand-Langue